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Comprendre le métagame grâce à Sirlin

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Comprendre le métagame grâce à Sirlin Empty Comprendre le métagame grâce à Sirlin

Message  Apeiron Dim 8 Déc - 20:47

Après avoir vu Merci Dorian - L'équilibrage et consulté les articles de Sirlin j'ai pensé qu'il serait pertinent d'avancer nos réflexions sur les jeux, en particulier sur Nova.

Intérêt du métagame

Qu'est-ce qui est fun dans un jeu ? Pour Nimeroni c'est l'adaptabilité et la perfection technique, pour moi c'est l'exploration des stratégies et la psychologie, mais d'autres profils ou critères existent.

Avec un système fixé je pense que mathématiquement il existe une stratégie gagnante, ou du moins un ensemble de stratégies battant toutes les autres : le métagame. Il n'y a qu'à deviner le jeu adverse (psychologie) et s'y adapter dans la mesure de nos moyens, mais aucune nouvelle stratégie n'est viable. Le jeu consiste alors à parfaitement connaître le métagame et appliquer parfaitement les matchs-ups, ce qui peut avoir son intérêt comme dans Street Fighter car le jeu valorise l'adresse et la réactivité, mais pas dans un jeu comme Nova (persistant et basé sur la réflexion plus que sur l'adresse).

Le système de jeu doit donc être suffisamment profond, c'est à dire offrir suffisamment d'exploration de stratégies viables tout en rendant difficile de déterminer si elles sont optimales. Mais ajouter artificiellement de la complexité rendrait difficile l'intégration des nouveaux joueurs : les règles doivent rester simples et les enjeux du système de jeu compréhensibles après un minimum de pratique. Utiliser des mécanismes RP est un bon moyen d'aider l'intuition et l'immersion du joueur, mais un bon jeu reste un jeu profond et simple. Dans un tel jeu un métagame émergera, relativement à la connaissance actuelle du jeu, tout en laissant la place à des alternatives qui feront évoluer ce métagame. [0]

Ma problématique est donc : Quels mécanismes permettent l'apparition et l'évolution de métagames intéressants ?

Pour répondre à cette question je résume et commente des articles de Sirlin, qui est connu pour son travail sur les jeux asymétriques. Il a notamment équilibré Street Fighter et proposé une version 2 des échecs [1].

Rompre la symétrie

Pierre/feuille/ciseau ne propose pas de stratégie gagnante car le jeu est symétrique. Dans Rock, Paper, Scissors in Strategy Games Sirlin propose une version où un joueur gagne 10$ s'il gagne avec pierre, 3$ s'il gagne avec ciseau et 1$ s'il gagne avec feuille.

Je voudrais jouer pierre pour gagner 10$ , mais l'adversaire le sachant jouerait plutôt feuille et je jouerais donc ciseau pour gagner 3$, et si jamais il devine cette stratégie il jouerait pierre et moi j'aurais intérêt à jouer feuille qui ne rapporte que 1$. Mathématiquement, sans connaissance du jeu adverse il faut jouer aléatoirement pierre, ciseau ou feuille avec respectivement une chance de 10/14, 3/14 et 1/14. Mais les humains ont du mal à jouer aléatoirement (surtout avec des pourcentages précis), donc ont des tendances qu'il est possible d'exploiter en ajustant sa stratégie. Par exemple un joueur agressif jouera plutôt pierre alors qu'un joueur protecteur jouera plutôt feuille.

En plus de cet aspect psychologique, si les gains associés aux mouvements ne sont pas explicites (comme dans un jeu de baston jouer une attaque ou une projection) la capacité d'évaluation de ces gains devient un des intérêts du jeu. Cela peut influencer l'ensemble du métagame. Par exemple dans Starcraft pierre/feuille/ciseau ne s'applique pas qu'aux types d'unités mais à la stratégie : le rush bat le full éco qui bat le normal qui bat le rush. Le rush ne sera utilisé que rarement au vu de l'énorme risque encouru, mais sa simple existence fait que les joueurs n'appliquent pas systématiquement la stratégie full éco.

Niveaux de contre

Pour qu'il y ait métagame il faut pouvoir battre directement la stratégie adverse, contrairement à des jeux indirects comme Race où lire le jeu adverse améliore notre stratégie (en utilisant ses phases). Cela nécessite donc des contre-mesures face aux stratégies adverses, qui peuvent jouer des contre-contre-mesures, etc. Dans Yomi Layer 3: Knowing the Mind of the Opponent Sirlin introduit les niveaux de lecture du jeu.

Jouer un bon mouvement m (comme pierre pour 10$ dans l'exemple précédent) correspond au niveau 0. Pour que m ne soit pas l'unique stratégie gagnante l'adversaire doit pouvoir contrer m avec un mouvement c1 : c'est le niveau 1. Afin de ne pas toujours perdre face à c1, le joueur doit pouvoir jouer c2 qui contre c1 (niveau 2). L'adversaire doit avoir un autre mouvement possible sinon le joueur pourrait toujours gagner en jouant c2, donc il doit pouvoir jouer c3 (niveau 3) qui contre c2. Mais il n'est pas nécessaire d'introduire un mouvement c4 car si l'adversaire joue c3 et pas c1 le joueur n'a qu'à jouer m qui est un bon mouvement n'étant pas contré par c3. Ainsi, le niveau 4 est le niveau 0. Il n'est donc pas nécessaire de lire le jeu adverse au-delà du troisième niveau, ni de concevoir plus de trois niveaux de contre dans un jeu.

Yomi et évaluation

Partant du principe que tous les jeux compétitifs ont un rapport avec le pierre/feuille/ciseau (ce que j'appelle le métagame) Sirlin essaie dans Designing Yomi de concevoir un jeu de ce type qui soit intéressant. Ce jeu ne doit pas avoir les mêmes défauts que Street Fighter, qui écarte des tournois ceux qui n'ont pas l'adresse ou la réactivité requises, ou que les échecs qui nécessitent à haut niveau une mémorisation exhaustive des positions de début et fin de partie.

Selon son analyse dans Playing to Win les deux compétences à développer dans un jeu intéressant sont le yomi (capacité à lire le jeu adverse à différents niveaux) et l'évaluation (capacité à déterminer la valeur relative des pièces ou mouvements au cours du jeu). Afin de rompre la symétrie il utilise des gains différents selon le mouvement utilisé (comme dans le cas précédent avec 10$ pour la pierre), ce qui permet d'introduire du yomi. Pour que la stratégie mathématiquement optimale soit difficile à trouver (voire qu'elle nécessite de l'intuition, ce qui est fun ?), et donc favoriser la capacité d'évaluation, ces gains ne doivent pas être fixes mais dépendre de la situation du jeu.

Pour cela il propose un système de jeu utilisant des cartes de style poker avec quelques raffinements. Comme dans le pierre/feuille/ciseau classique ou Street Fighter, chaque joueur joue en même temps donc ignore la stratégie actuelle de l'autre [2]. Une carte permet d'attaquer, de projeter, d'esquiver ou bloquer, ces mouvements pouvant se contrer les uns les autres. Les cartes étant différentes une valeur différente peut leur être attribuée, ce qui rompt la symétrie. Enfin, il existe de vrais choix dépendant de la situation de jeu qui rendent le calcul difficile [3]. Pour corser le tout, il a rajouté des capacités spéciales aptes à favoriser un joueur capable d'évaluer la valeur d'une carte à un instant donné.

Cependant un tel système de jeu n'est pas inaccessible. Les cartes ainsi que certains mécanismes sont les mêmes que dans d'autres jeux de cartes connus comme le poker, et les mouvements possibles reprennent la logique des jeux de baston. Ainsi, un joueur familier avec le poker et Street Fighter n'aura aucun problème à débuter. De plus, selon leur personnalité les joueurs développent naturellement des plans de jeu qui facilitent le yomi.

Le mot de la fin

En somme, Sirlin nous incite à :
- éviter la symétrie (même si c'est une voie facile pour l'équilibrage), quitte à juste attribuer des valeurs de gain distinctes
- étudier des systèmes de contres dès que les joueurs interagissent directement entre eux, sans aller trop loin
- valoriser uniquement les qualités voulues pour le jeu, par exemple pour Nova éviter de trop valoriser l'adresse, la mémoire, la richesse [4], l'ancienneté ou le temps passé devant l'écran
- utiliser des systèmes complexes (en particulier si l'ordinateur fait le travail) avec de vrais choix dépendant de la situation globale, offrir de la personnalisation
- aider l'intuition du joueur en utilisant des mécanismes connus ou le RP.

Voilà qui soutient une bonne partie des choix que nous avons faits, tout en fournissant des exemples intéressants et une documentation fournie pour continuer à creuser dans cette direction.


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[0] Même si les solutions optimales sont visibles il est possible de faire bouger le métagame en changeant les règles du jeu, ce que nous serons amenés à faire en patchant des éléments existants ou en ajoutant du nouveau contenu. En somme tant que le jeu est en développement le métagame possède intrinsèquement une évolution, même si celle-ci est pilotée non par les joueurs mais par les concepteurs et donc peut être mal vécu. Nous pouvons intégrer ces changements au RP (comme mon exemple d'insertion des cybermen) pour qu'ils soient mieux acceptés.

[1] J'ai été particulièrement marqué par sa phrase : "savoir adapter ta stratégie face à différentes armées est plus facile que d'apprendre à être bon avec la tienne" (learning how to adjust your game against different armies is much less work than learning how to be good at your own army).

[2] L'introduction des espions permet de rompre cette ignorance, même si cela a un coût. On a donc un métagame (donc potentiellement avec du contre-espionnage) qui se fait aussi sur l'information. Autant il me semble nécessaire qu'un espion doit pouvoir être stoppé s'il effectue une action hostile, autant cela est moins clair pour seulement l'accès à l'information adverse (puisque l'espionnage a déjà un coût donc une forme de contre, et que pour contrer le contre-espionnage il suffit de ne pas espionner).

[3] L'adaptabilité ne dépend cependant pas que de la lecture du jeu (yomi et évaluation) mais aussi des contraintes sur les ressources. A Nova par exemple il faut un certain temps pour obtenir des informations avec ses espions, pour qu'une planète passe de productrice à consommatrice et vice-versa, ou pour produire de nouveaux vaisseaux. A l'inverse le système de munition permettra une grande adaptabilité au niveau de l'attaque.

[4] Par exemple compte premium débloquant des capacité dans le jeu, ou jeu en temps réel sensible au lag (comme LoL) incitant à acheter du matériel informatique.
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Message  Apeiron Mar 10 Déc - 3:36

Exemple de Yomi 3 : l'espionnage ?

Contrairement à des jeux comme Weymery (ou Street Fighter en un sens) les informations concernant les joueurs ne sont pas publiques, afin d'éviter l'effet marteau. En effet, dès qu'une alliance devenait assez forte elle finissait par se faire attaquer par l'alliance dominante qui se sentait alors menacée, et il était presque impossible de pouvoir constituer des forces discrètement. Une solution aurait été de se liguer [1], mais en pratique c'est délicat.

Ayant bien pris conscience de l'importance (et du fun stratégique) de l'espionnage en lisant l'Art de la Guerre de Sun Zu j'ai décidé d'introduire une mécanique "payante" pour acquérir malgré tout des informations sur l'adversaire [2]. Ces informations peuvent être ensuite utilisées, par exemple en adaptant sa flotte à la flotte adverse et ainsi obtenir un avantage conséquent. Le prix consiste à prendre un trait d'espionnage au lieu d'un autre trait qui aurait été utile. Estimer le bénéfice par rapport au coût est un exemple de la qualité d'évaluation esquissée par Sirlin.

Où résident les niveaux de lecture ? Supposons que A ait une technologie un peu meilleure que celle de B. A possède un mouvement évident (niveau 0) consistant à se focaliser sur la construction de vaisseaux. Ainsi, si B fait de même il se fera battre en raison de l'avantage technologique de A. Pour contrer cela (niveau 1) B sacrifie une partie de sa productivité pour faire de l'espionnage. Il apprend ainsi les faiblesses de A et même s'il est moins nombreux et moins bien armé peut malgré tout le battre sur le champ de bataille. Si A se doute que B va utiliser des espions, il a tout intérêt à faire du contre-espionnage (niveau 2). Ainsi, en dépensant autant de ressources que B il va se retrouver avec le même nombre de vaisseaux, mais comme les siens sont meilleurs il gagnera la bataille. Si B pense que A va s'imaginer qu'il utilisera des espions (niveau 3), faut-il qu'il contre le contre-espionnage ? Non, il a plutôt intérêt à laisser A gaspiller ses ressources dans un contre-espionnage stérile et ainsi être plus nombreux et battre A malgré la différence technologique. Enfin, si B n'utilise pas les espions, A peut tout simplement revenir à son mouvement initial (niveau 4 = niveau 0) consistant à attaquer brutalement.

A dispose de deux mouvements : utiliser ou non le contre-espionnage.
B dispose de deux mouvements : utiliser ou non l'espionnage.

Le problème est que Nova est un jeu symétrique. Ainsi, même si la symétrie est rompue entre les joueurs, A pourrait quand même utiliser l'espionnage sur B et accroître son avantage [4]. On pourrait espérer que A ait sacrifié quelque chose pour cet avantage technologique, mais la technologie est typiquement une rétroaction positive (plus tu en as plus tu es fort donc plus tu peux en avoir, voir à ce sujet Slippery Slope and Perpetual Comeback).

Exemple de garde-fou : l'entretien, le crime et le domaine public

Dans Balancing Multiplayer Games, Part 3: Fairness Sirlin évoque la nécessité de poser des garde-fous afin d'avoir de la latitude dans la conception. A Nova par exemple, la puissance militaire est bornée par le minerai et le combustible via l'entretien, et ces deux ressources sont bornées par joueur via le système de crime qui fixe le nombre de planètes exploitables. Il faut aussi que tous les éléments du jeu (par exemple le sabotage) puissent être contrables afin que s'ils deviennent dominants les joueurs aient des solutions de repli.

Ces mécanismes participent à empêcher un joueur fort de le rester (rétroaction négative), mais ils sont acceptables d'un point de vue RP et n'empêchent pas un joueur d'avoir un avantage momentané. Par exemple, avoir beaucoup de minerai, de combustible ou de crédit est inutile tant que ces ressources ne sont pas transformées en vaisseaux. Mais ces vaisseaux vont avoir un entretien qui va faire fondre cet avantage. On peut cependant utiliser cet avantage pour exiger un tribut d'un joueur. Cela revient à transformer cet avantage momentané en avantage permanent.

Pour la technologie nous avons refusé d'instaurer un entretien, car cela ne donnait pas d'impression de progrès. Cependant nous avons tout de même instauré en garde-fou le domaine public. Ainsi, la technologie reste un investissement intéressant mais ceux qui sont derrière ont un niveau minimal assuré, ce qui empêche l'écart de trop se creuser. Un autre aspect rend la recherche motivante : la reconnaissance. En effet, le système d'expert permet de consacrer publiquement le meilleur chercheur dans un domaine, cette reconnaissance étant rendue réelle par l'avantage en jeu que ce statut procure. [3]


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[1] Par essence Nova ou Weymery sont des jeux basés sur le nombre : un joueur seul a des capacités limitées, mais son alliance a une puissance proportionnel à son nombre de membres. Certes un petit groupe de gens efficaces peut tenir face à de plus grands groupes (la durée de vie de la Ligue en témoigne), mais c'est difficile et il n'est pas souhaitable d'instaurer des mécanismes renforçant les petits groupes. Normalement on pourrait supposer qu'un équilibre naitrait du fait que l'alliance la plus importante serait battue par une coalition de petites ayant peur de se faire attaquer séparément, mais ces coalitions sont difficiles à instaurer même pour les plus grands diplomates Cool. En effet en l'absence de menace claire et immédiate il est difficile de rassembler des groupes fonctionnant différemment, et une certaine méfiance peut régner à cause du fait qu'une fois la plus puissante alliance battue tous auraient raison de craindre la deuxième plus forte.

[2] Le sabotage aurait aussi pu être considéré. Dans les deux cas, les espions doivent pouvoir être contrés. Nous avons choisi par symétrie que ce serait par d'autres espions, ce qui permet une guerre de l'ombre (et c'est fun).

[3] Nova a ceci de particulier que c'est un jeu sans fin. En particulier on ne peut faire aucun équilibrage sur le tempo, et le jeu ne propose comme aboutissement que les objectifs que les joueurs se fixent eux-mêmes. C'est un jeu ouvert comme l'est Minecraft, où le principe est plus d'occuper les joueurs en leur fournissant des outils de bac à sable. De tels jeux peuvent être renforcés par leur aspect social (il n'y a qu'à voir l'essor des vidéos minecraft sur youtube), mais contrairement à Minecraft Nova est un jeu à vocation compétitive, ce qui a ses avantages mais peut aussi limiter les échanges entre joueurs. Par exemple dans Weymery il était difficile de motiver les gens à poster sur ce qu'ils faisaient car cela aurait révélé leurs plans, et donc le RP et plus généralement les communications hors alliance en ont pâti.

[4] Je tempère ce que j'ai écrit hier : si A utilise l'espionnage il utilise moins son avantage technologique. La situation devient plus compliquée si les deux joueurs s'espionnent et encore plus s'ils le le savent. Je voulais insister sur un point qui distingue Nova d'un jeu comme Street Fighter : comme les joueurs peuvent faire plusieurs choses en même temps ne pas faire un mouvement (et donc faire autre chose, par exemple faire plus de vaisseaux en utilisant le trait supplémentaire) peut être considéré comme un mouvement en soi.
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